lundi 2 avril 2012

Algérie ( parte 2 )

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Dans le domaine linguistique, je souhaite évidemment que l’Algérie reste un grand pays francophone — et nous ferons tout ce que nous pourrons pour l’y aider —, mais il est bon aussi que de plus en plus de jeunes Algériens sachent l’anglais et légitime aussi que l’Algérie affirme son identité arabo-islamique et poursuive ses efforts en matière d’enseignement de la langue arabe. D’ailleurs, nous souhaitons nous-mêmes renforcer l’enseignement de l’arabe en France, qui correspond à une ancienne tradition mais aussi à de vrais besoins.

Pour faire passer le message en faveur de la Francophonie, le président français semble prôner en même temps l'arabisation de l'Algérie. En France même, le chef de l’État annonçait qu’il entendait renforcer la présence de la langue arabe. Cette déclaration du président français correspond diplomatiquement à ce que les autorités algériennes voulaient entendre. Évidemment, il n'a pas osé faire allusion à la langue berbère (tamazight). De la même façon, aucun chef d'État algérien n'oserait parler en faveur des Bretons, des Alsaciens ou des Corses! Ce serait trop risqué de susciter des revendications de la part des Berbères algériens.

En octobre 2008, le président Bouteflika s'est encore présenté «en qualité d'invité spécial» au XIIe Sommet de Québec (Canada), qui s'est déroulé du 17 au 19 octobre et coïncidait avec le 400e anniversaire de la fondation de la ville de Québec par Samuel de Champlain (1608). Comme quoi les sommets de la Francophonie sont encore perçus par les autorités algériennes comme un «cadre politique de soumission à la France». Pourtant, la Francophonie de 2008 n’était plus du tout celle des années 1970, alors que les barrières idéologiques de l'époque ont été levées, mais l'Algérie semble encore l'ignorer, empêtrée elle-même dans sa propre idéologie anticoloniale française. C'est pourquoi, le premier ministre du Canada, Stephen Harper, souhaitait qu'après vingt-deux ans d'absence l'Algérie devienne officiellement membre de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF). Le président Bouteflika fut reçu en grande pompe par les plus hautes autorités du Canada et du Québec. En effet, le président algérien s'est entretenu, entre autres, avec le premier ministre du Canada, M. Stephan Harper, le premier ministre de Québec, M. Jean Charest, et Mme Michaëlle Jean, gouverneure générale du Canada. Comme toujours, l'État algérien n'a pas bougé.

L'aménagement linguistique en Algérie reste l'œuvre d'une petite oligarchie politique aux pouvoirs immenses. Elle est fondée sur une culture qui s'est définie par opposition à la France coloniale et par mimétisme à l'égard du Proche-Orient. La grande caractéristique de l'arabisation algérienne, c'est de reposer sur le panarabisme à l'exclusion de tout nationalisme territorial proprement algérien. Toute la politique linguistique est axée sur l'arabe coranique, non pas sur l'arabe des Algériens. Il a fallu, pour ce faire, que l'oligarchie algérienne élabore sa politique contre les Algériens eux-mêmes. C'est d'ailleurs là où la bât blesse! Le succès de la politique linguistique algérienne demeure bien relatif, contrairement à la Turquie de Mustafa Kemal Atatürk, dont la politique de la langue turque constituait, même dans l'histoire de l'humanité, un véritable exploit. À l'opposé de la Turquie, l'Algérie n'a guère favorisé un rapprochement entre l'oral et l'écrit et, par voie de conséquence, n'a pas contribué à l'élimination de l'analphabétisme. La clé de la réussite turque réside dans le fait que la politique linguistique reposait sur un nationalisme territorial moderne fondé sur la langue du peuple turc, sans égard à la croyance religieuse. C'est tout le contraire qui s'est passé en Algérie, car la politique linguistique a été fondé sur l'arabo-islamisme et le modèle proche-oriental. La politique algérienne s'est nécessairement faite contre le peuple algérien qui s'est vu imposer une langue morte (l'arabe coranique), ce qui a favorisé l'intégrisme musulman. L'arabisation algérienne ne fut motivée que par des préoccupations purement politiques: la conservation du pouvoir par la langue, avec l'appui des conservateurs islamistes.

En voulant édifier un État arabe unifié, les premiers dirigeants algériens n'ont pas choisi comme fondement de leur politique un nationalisme proprement algérien. L'idéologie était au contraire déconnectée du peuple algérien parce qu'elle correspondait à un panarabisme abstrait, trop supranational. On est alors passé de la dépendance d'une France coloniale à une autre dépendance, celle du Proche-Orient, surtout l'Iran (pour l'islam), l'Arabie Saoudite, l'Irak et la Syrie, des pays qui semblent bien éloignés du Maghreb. En effet, l'identité arabo-islamiste des dirigeants n'a jamais coïncidé avec l'idée que les Algériens s'en faisaient. De plus, la francophobie affichée par l'oligarchie politique n'a guère favorisé le développement socioculturel des Algériens. En ce sens, on ne peut parler de réussite, même si l'Algérie d'aujourd'hui est méconnaissable par comparaison à celle au lendemain de l'indépendance. En plus de quarante ans, l'Algérie n'a pas réussi à éradiquer le français à coup de décrets et de lois. Le peuple algérien continue de l'employer dans les domaines culturel, économique, éducatif et social au grand dam des autorités politiques et religieuses. Pire, l'influence de la langue et de la culture française semble s'intensifier d'année en année, notamment en raison de la réception par satellite des chaînes de télévision française, qui attirent énormément les Algériens.

Si les dirigeants algériens n'ont pu imposer l'arabe classique dans la vie quotidienne, c'est que cette langue n'est pas adaptée aux besoins des Algériens, contrairement à l'arabe algérien, au berbère et même au français. Tant et aussi longtemps que les élites politiques et religieuses n'accepteront pas la réalité algérienne dans ses différentes composantes et qu'ils s'accrocheront à une idéologie légitimant leur propre pouvoir, la population résistera, sauf pour les individus qui ont intérêt à conserver le système en place. Depuis 1962, les régimes qui se sont succédé ont toujours occulté le caractère multilingue et multiculturel de l'Algérie. Ils ont conçu l'identité algérienne sur le mode de l'exclusion en culpabilisant «les ennemis de la Nation». Dans cette perspective, les Berbères ont forcément écopé plus souvent qu'à leur tour, eux qui sont, comme les arabophones, d'authentiques Algériens. Rappelons que la grande majorité des Algériens ont une origine ethnique berbère. Si l'écrivain Rachid Boudjeba croit que la faillite de l'arabisation est due à l'arrivée des antennes paraboliques, les linguistes, pour leur part, sont plutôt convaincus que le mépris pour la langue et la culture des citoyens (l'arabe algérien et le berbère) expliquent bien davantage le quasi-échec de la politique linguistique algérienne.

Pour les linguistes, toute politique qui encourage la coexistence linguistique ne peut que promouvoir un esprit de compréhension et de tolérance. En ce sens, la diversité des langues dans un cadre national peut représenter un atout, pas nécessairement une malédiction. Après plus de quatre décennies d'arabisation, les dirigeants algériens ne semblent pas avoir compris le message! Ils ont préféré recourir à la coercition pour arabiser la société, sinon l'islamiser davantage, afin de s'assurer le soutien des islamistes et autres conservateurs pour tenir l'ensemble des Algériens sous leur contrôle. La plupart des Algériens en sont venus à voir l'arabe classique comme le symbole de l'autoritarisme, de la corruption et de l'injustice sociale! L'Algérie, il est vrai, a toujours étonné par ses excès! En même temps, les deux langues parlées par le peuple, l'arabe algérien et le berbère, sont soit niées soit méprisées au profit de l'arabe classique que personne ne parle (comme langue maternelle, bien sûr). Dans cette perspective, le terme de demi-échec pour qualifier la politique de l'arabisation à l'algérienne serait presque un euphémisme!

Le problème fondamental en Algérie, c'est le pouvoir politique qui ne change jamais. Malgré la succession des présidents, des premiers ministres et des multiples ministres, le statu quo demeure une constante de la vie politique algérienne, parce que les «parrains» qui dirigent le pays en sourdine sont omniprésents. Les Algériens demeurent dans l'illusion qu'un changement imminent va survenir, mais c'est justement là la force des «parrains» qui gangrènent le pays par la corruption. L'illusion du changement constitue le moyen idéal de ne pas remettre le système en cause. Seule une véritable révolution démocratique permettrait de liquider l'État policier pour le transformer en un État de droit. Dans le cas contraire, tout serait en place pour instaurer un État théocratique par l’émergence d’une alliance islamiste conservatrice déterminée à atteindre son but. Malheureusement, l'Algérie ne constitue guère un modèle positif en matière de politique linguistique. Le peuple algérien mériterait certainement mieux.

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